Ah, Londres. Une ville magnifique, n'est-ce pas ? Imaginez-vous simplement dans un grand appartement, sur votre balcon rempli de plantes diverses soigneusement entretenues, à prendre une tasse de thé sous un ciel couvert (parce que c'est bien connu, il pleut tout le temps à Londres). Eh bien... Cette vision des choses est carrément clichée. L'enfance de Maxwell ne ressembla pas vraiment à cela.
C'est en effet dans cette singulière ville à la gastronomie douteuse et où tous les gens semblent programmés pour faire la queue que le brun grandit. Né le 25 décembre 1986 – oui, le jour de Noël, amusant pour un individu si lugubre – il était le cadet d'une famille anglaise de classe moyenne. Annie Nashton était une beauté froide à la longue chevelure noire, peu bavarde et dont les signes d'affection étaient bien plus rares que chez son mari, Thomas, homme bien plus banal et jovial à la chevelure brune en bataille. Autant dire que Max a plus hérité de la première que du second, étant plus proche de sa mère que de son père. Il eut une enfance relativement paisible, à vrai dire ; c'était, dès le début, un enfant assez turbulent mais bien plus joyeux qu'aujourd'hui. Un poil hyperactif, il semblait impossible de l'empêcher de faire les quatre cent coups avec sa soeur adorée, Mabel. Agée d'un an de plus que lui, la demoiselle était une véritable boule d'énergie un peu bizarre et fascinée par le paranormal. Ce fut d'ailleurs elle qui lui apprit, très rapidement, nombre de légendes. Ils prenaient ça à la rigolade, bien entendu ; aucun des deux ne soupçonnait que quoi que ce soit puisse être vrai dans ces légendes. Dotés d'un esprit cartésien au possible, ils ne prenaient ces récits fantastiques que pour ce qu'ils semblaient être, à savoir des histoires à faire peur distrayantes et fascinantes. Souvent, les deux allaient à la librairie locale pour chercher des ouvrages sur le sujet, les feuilletant discrètement, une boisson chaude aux lèvres. Si Mabel avait une véritable addiction pour le chocolat, Max, lui, se trouva rapidement un attrait particulier pour le thé. L'aînée le raillait souvent à ce sujet, disant qu'il allait finir par devenir un gentleman cliché, ce à quoi le jeune garçon répondait souvent par une moue agacée. Cela dit, il ne garde presque que des bons souvenirs de cette époque ; l'odeur des vieux livres, le court voyage en vélo qu'il faisait, essayant désespérément de dépasser sa soeur énergique malgré sa condition physique limitée, les fois où il s'endormait sur l'épaule de Mabel ou volait des bouquins, la peur au ventre, les cachant sous son trenchcoat trop grand pour lui et à moitié déchiré. Au moins, ces évènements – qui amusaient énormément les deux enfants – lui avaient appris les vertus magiques de ce vêtement.
Maxwell avait toujours été fier de son intelligence. Oh, pas qu'il soit excellent à l'école, pourtant ; si il parvenait à avoir de bons résultats, il faisait peu d'efforts et il demeurait un élève turbulent qui gagnait bien un point de suture par an. Pas qu'il soit méchant, bien sûr ; c'était loin d'être une de ces brutes qui constituent les rois de la cour de récré, ou encore une victime qui se faisait tabasser tous les deux jours. Non, Max était un solitaire et si il avait quelques amis, bah il ne s'y attachait pas plus que ça. Sortir un peu avec eux, avoir des discussions quelconques, voilà à quoi se résumaient ses interactions avec eux. Ce n'était pas un parfait asocial, juste un solitaire, à l'époque.
En revanche, lorsqu'il s'agissait d'énigmes trouvées un peu n'importe où, dans les emballages de bonbons par exemple, il était incroyablement doué. Ses raisonnements étaient rapides et logiques, et il était clairement plus mature que la moyenne des enfants de son âge. Ce qui le rendit très vite arrogant à ce sujet, mais malgré tout, l'enfant aux cheveux noirs demeurait accessible. A l'époque, il était même plutôt gentil, sans être parfait ; nous étions loin du connard qu'on connait aujourd'hui.
"Et quand je s'rai grande, je serai la reine d'Angleterre.
- Tu peux pas, Mabel.
- Pourquoi donc ?
- Parce qu'on obtient le titre de naissance, idiote.
- Les coups d'état ça existe ! J'ai vu ça en histoire. Et toi, Max ? Tu voudrais faire quoi plus tard ? Tu parles jamais de l'avenir, t'as aucune ambition, mon pauvre frangin !"
Maxwell n'avait pas su quoi répondre sur le coup, alors il avait simplement adressé un regard noir à sa soeur en lui disant qu'elle était conne et pas réaliste. Evidemment, il s'était mangé une claque. On n'insultait pas Mabel Nashton. Lui, ce qu'il aurait voulu faire... Eh bien, il n'en avait aucune idée. Il y réfléchit donc beaucoup les jours suivant cette petite conversation, se demandant ce qu'il pourrait bien faire.
"Miaou ?
- Tu peux parler, c'est facile de penser à ça pour toi. Tu passes ta vie à bouffer des croquettes et à dormir."
Ces paroles étaient adressées à Schrödinger, le chat noir de la famille, qui ronronnait tranquillement sur les genoux de Max alors que celui-ci balançait ses jambes dans le vide, assis sur le rebord de la fenêtre de l'appartement. Heureusement que son père n'était pas là parce qu'il se serait pris une dérouillée si on le voyait si proche du vide. Il était convaincu que son fils avait des idées suicidaires. Papa poule.
"Tu te casses trop la tête, Maxie-darling.", avait fait Mabel.
Mais pas du tout ! En plus, c'était de sa faute si il se creusait la tête à ce sujet, désormais. Ce fut, lors de ces vacances d'été, son principal sujet de réflexion. Pas qu'il n'en ait pas des dizaines, oh non : par exemple, lors de leurs vacances à Florence, alors que Mabel était occupée à contempler les bâtiments et explorer la moindre ruelle en compagnie de leurs parents, le jeune garçon était occupé à lire les dizaines d'ouvrages qu'il avait embarqués dans son sac plus lourd que lui, essayant de ne pas buter contre un lampadaire ou un passant alors qu'il marchait. Ce qu'il lisait ? Oh, souvent des bouquins policiers, il adorait tenter de retrouver le criminel avant le policier – même si il râlait beaucoup contre les navets trop évidents. Parfois, il lisait les énigmes de son magazine préféré, Riddle Freak, évoquant diverses techniques employées par la police ou proposait des tests pour se creuser la tête. Pas que certains articles ne lui paraissaient pas terriblement ennuyeux, bien entendu, d'autant qu'il était trop jeune pour tout comprendre. Cependant, les trucs rigolos – comme la préparation d'une mini-bombe artisanale, dans un numéro mémorable – le fascinaient pas mal. Il y avait aussi quelques articles volés chez le médecin concernant la psychologie, la criminologie, la sociologie... et pendant ce voyage, il avait aussi essayé d'apprendre l'italien, en plus de sa langue natale, l'anglais. Finalement, si ses bases étaient... absolument lamentables lors des deux semaines qu'il passa à Florence, il continua ensuite, jusqu'à devenir presque bilingue. Il y avait quelque chose de cool dans cette langue, il ne saurait dire quoi.
Ils étaient passés du côté d'une cathédrale, à un moment. Mabel avait insisté pour qu'on entre à l'intérieur, ayant toujours été fascinée par ces bâtiments à l'ambiance étrange. Et Max devait bien l'avouer, lui aussi appréciait ces lieux un peu occultes, mystérieux. Elle lui avait demandé si il croyait en Dieu ; et il avait répondu, le plus naturellement du monde, que c'était complètement idiot à ses yeux. Il ne croyait en rien, ne faisait qu'imaginer. Si il était assez calme et joyeux, force est de constater que l'optimisme n'avait jamais été son fort ; il restait beaucoup trop terre à terre, ce qui avait fait rire sa rêveuse de soeur. Pas qu'elle non plus croie en grand chose... mais elle gardait une once d'espoir quant à l'existences des choses invisibles. Elle disait que c'était plus excitant. Max aussi, dans un sens, mais il refusait de se laisser emporter par ses rêves. Il avait toujours été comme ça... mieux valait profiter du peu que le monde offrait, selon lui, qu'imaginer qu'un monsieur barbu juste au-dessus d'eux leur offrirait la grâce.
Ils étaient rentrés assez vite à Londres. Si Mabel était profondément déçue, Maxwell, lui, était plutôt content de fuir la chaleur atroce de l'Italie en été. Qu'est-ce qu'il détestait la chaleur ! Si il l'avait dit à sa soeur, elle aurait probablement ri en disant que c'était parce qu'il avait un coeur de glace ou quelque chose du genre, raison pour laquelle il feignit d'être déçu. S'ensuivit rapidement une balade avec sa soeur, justement, dans les rues de Londres. La ville était assez agitée en été, et de nombreux petits évènements avaient lieu dans les grandes rues de la ville. L'adolescent était un peu gêné à l'idée de se mêler à la foule, détestant le contact physique – surtout avec de parfaits inconnus puant la sueur – mais Mabel l'avait entraîné par le bras pour voir une représentation musicale. Au milieu d'une avenue, des musiciens jouaient un morceau de swing, dans des costumes de l'époque où ce genre de musique était à la mode. Il y avait même quelqu'un pour montrer comment on le dansait. Aussitôt, Mabel avait embarqué son frère dans la danse, faisant tournoyer sa robe en tissu liberty.
"Mabel, arrête, tout le monde nous regarde !
- On s'en fout, c'est trop cool !"
Et finalement... il s'était pris au jeu. Oui, lui, le nerd arrogant de service, dansait de manière endiablée sur un rythme old-school, les pans de son trenchcoat flottant au vent. Il adorait ce type de musiqut e. Il ne savait pas trop ce que c'était mais il adorait ça. Et bouger comme ça... pour une larve comme lui, c'était franchement amusant. Alors en rentrant, les deux enfants avaient acheté au moins trois CD de swing, juste pour le plaisir de danser dessus encore par la suite. Et ils s'entraînèrent longtemps ainsi. Ce fut vers la fin de l'année, peu après que Maxwell ait fêté ses douze ans, qu'elle demanda à ses parents de l'inscrire à un cours de danse. Elle s'était énormément renseignée dessus et avait une bonne condition physique. C'est donc sans le moindre souci qu'ils acceptèrent cette demande de la part de la jeune fille. Alors Max, qui avait gagné un grand intérêt pour la musique en général et la danse également, leur demanda de pouvoir la rejoindre... autant dire que ça se passa plus mal. Non seulement c'était pas super viril et ça coûtait cher, mais de plus, Max était loin d'être aussi gracieux que sa soeur ; celle-ci était forte, vive et fine, et lui, à l'époque... était un maigrichon pas très grands aux cheveux beaucoup trop en bataille pour y voir quelque chose lors d'une quelconque chorégraphie. Autrement dit, il était mal parti pour devenir Billy Eliott, et lorsqu'il demanda à apprendre au moins un instrument, ses parents restèrent fermés comme des huîtres. Un artiste dans la maison ça passait, mais deux... en plus, ça faisait bien trop de bruit dans l'appartement. Ca doit être depuis ce jour que Maxwell est si réfractaire à l'art, même si la suite de sa vie n'a pas dû aider.
Le collège, puis le lycée se déroulèrent à merveille. Naturellement, il avait eu le temps d'oublier complètement l'art, même si il écoutait, de temps à autres, un morceau de jazz ou de swing par nostalgie, pour mieux se concentrer sur son boulot. Il dépassa rapidement sa soeur dans les études, celle-ci étant certes loin d'être bête, mais pas au niveau de son cadet malgré tout, et elle le taquinait souvent à ce sujet – lui gueulant à chaque fois qu'elle le qualifiait d'intello avec un sourire narquois aux lèvres. Lui se plongea dans sa passion d'enfance, le crime et la science, ce fut donc tout naturellement qu'il annonça son désir d'intégrer la police scientifique, ou un labo quelconque. Ca le fascinait et à l'époque, il ne voyait pas sa place ailleurs. Mabel, elle, opta tout naturellement pour une école de danse ; elle dut insister auprès de leurs parents mais elle eut finalement gain de cause. Max ne fut pas vache avec elle, il l'encouragea comme il pouvait. C'était la moindre des choses.
Ses études ? Elles se à merveille. Malgré sa nature profonde de feignasse, le brun fit des efforts pour se hisser au sommet, et si il n'avait pas la détermination d'être le premier, il se maintenant haut dans le classement de son école. Il ne se souvient pas trop de ses années là-bas ; il travaillait beaucoup et ses actions quotidiennes s'étaient ancrées dans une routine un peu ennuyeuse. Tout au plus il se mit à sortir dans les pubs, gagnant un certain goût pour l'alcool dans le processus, mais il était loin de se bourrer la gueule quotidiennement comme aujourd'hui ; disons que c'était d'occasionnelles sorties entre amis où ils essayaient d'être ivres morts autant que possible sans s'évanouir. Tradition anglaise, selon Max. Eh oui, cet accro des stéréotypes infondés aimait bien s'en prendre à son propre pays aussi, pas de cadeaux pour qui que ce soit.
On lui demandait souvent pourquoi on ne voyait jamais une jolie jeune fille à ses bras. Les mauvaises langues disaient que c'était son côté trop intello et froid qui posait problème, mais ce n'était pas vraiment ça. Max n'avait jamais été mieux qu'à cette époque, en vérité ; quoique froid et distant, il demeurait relativement souriant et presque positif par rapport au reste de sa vie. En effet, il n'avait jamais été si serein et... heureux finalement. Même sa soeur s'étonnait de le voir si épanoui, comparé à l'adolescent grincheux et renfermé qu'il avait toujours été, il commençait à devenir un vrai cutie plutôt charmant – du moins était-ce qu'elle disait lorsqu'ils se revoyaient, autour d'une tasse de thé généralement, vieilles habitudes obligent. Ce n'était pas les filles – ou les garçons, si vous vous posez la question – qui le rejetaient, en fait ; c'était plutôt lui qui faisait preuve d'un désintérêt peu commun pour l'amour, ce qui causa toujours une grande incompréhension dans l'esprit des gens, surtout de ses amis qui l'avaient connu assez affectueux. Mais bref, ce n'était qu'un détail. Il préférait ne pas trop évoquer le sujet en général. C'était beaucoup moins rigolo que balancer de l'azote liquide sur le sol – vous devriez essayer un jour, c'est très amusant.
Ce fut peu après qu'il rejoignit la police scientifique, comme dit dans son voeu. Le seul souci était que le métier avait beaucoup moins d'attraits que ce qu'il aurait imaginé. Oh, vous le connaissez, il était pessimiste, il ne s'attendait pas à ce que ça se passe comme dans une série télé. Cependant, si le job en lui-même était des plus intéressants, son entourage... le tournait facilement au ridicule. Aux yeux des agents, il n'était qu'un type étrange et arrogant qui ennuyait tout le monde avec ses paroles tournées comme des énigmes, son manque de reconnaissance quant à ses talents et son côté trop... comment dire ? Hautain, voilà. Ce pauvre petit se prenait pour ce qu'il n'était pas, à savoir un génie, et si ses collègues d'université l'avaient admiré, une fois dans la cour des grands, le résultat était tout autre. Maxwell tint le coup un moment, car si sa fierté était mise à mal, il conservait une énorme part d'amour propre et refusait de se laisser abattre par les remarques de tous ces abrutis. Il se forçait à penser qu'ils n'étaient que des idiots qui n'y comprenaient rien, devint de plus en plus méprisant et supérieur. Et ça fonctionna, il réussit à se convaincre de leur médiocrité à tous. Mais cela ne suffit pas. Au contraire, ses relations de plus en plus conflictuelles et son sarcasme de plus en plus développé ne contribuèrent pas à sa popularité, et si il parvenait à en vouloir à ses détracteurs, impossibles de les ignorer pour autant. Ce fut donc des années maussades que Maxwell passa, et son seul allié fut l'alcool. Mabel n'était pas là, trop occupée avec ses spectacles et ses répétitions exigeantes ; elle ne l'appelait que rarement pour prendre de ses nouvelles. Ses parents ? Il s'en foutait pas mal. Et des amis ? Il n'avait jamais eu d'amis proches. Il avait toujours été désespérément seul, au fond. Surtout depuis que Mabel n'était plus là. Il ne s'en était jamais offusqué auparavant, c'était même une fierté que cet individualisme, mais ça commençait franchement à l'oppresser d'être seul contre le monde. Pas qu'il aille mendier pour un peu d'affection, ce n'était pas son genre. Mais pourquoi personne ne voulait comprendre ses talents indéniables ? Pourquoi tout le monde s'en foutait ?!
Il commença à manquer le boulot de plus en plus fréquemment. Il traînait dans les rues de Londres pour, je ne sais pas, taper la discute avec les autres gens. Si bien qu'il connaissait quasiment tous les SDF de son quartier. Et, bien que ce soit carrément mauvais de sa part, rester en compagnie de personnes aussi misérables, plus encore que lui, et bien moins glaciales que celles qu'il côtoyait quotidiennement... lui faisait chaud au coeur. C'était se réjouir du malheur des autres, ce qu'il n'avait pas pour habitude de faire, mais hey, il leur payait de quoi subsister, et des cuites aussi. Il n'y avait pas que les clodos bien sûr, mais il ne côtoyait pas beaucoup de personnes fortunées. La dernière fois qu'il vit Mabel, avant un long moment en tout cas, il lui en parla, et elle fut assez réticente à cette compagnie, mais il ne l'écouta pas. Elle n'était pas là, elle. Elle ne faisait rien pour lui et si elle voulait diriger sa vie comme elle l'avait toujours fait, elle pouvait bien aller se faire voir.
Il l'avait appelée depuis une cabine téléphonique. Pas qu'il n'ait pas de portable, mais il avait oublié le sien chez lui, et il avait une envie trop ardente de lui parler pour attendre, même si il se doutait que ça finirait mal. Il poussa un profond soupir en raccrochant le téléphone, manquant de briser le combiné à cause de la force de son geste. Non sans murmurer un juron dans sa barbe, il sortit de la cabine puant l'urine et la clope, frissonnant dès qu'il atteignit l'extérieur. Là, un drôle de mec aux cheveux longs et bouclés et à la barbe mal rasée attendait visiblement quelque chose, appuyé contre un mur. Ses vêtements chauds – certes, on était en hiver, mais il s'habillait tout de même bizarrement, avec son cuir et sa peau de mouton mort – firent hausser un sourcil à Maxwell. Par instinct, il saisit une pièce dans son portefeuille et la lui lança, non sans une moue dédaigneuse.
"Eh, tu m'as pris pour un clodo ou quoi ?
- Oui."
Le brun avait répondu du tac au tac, ce qui fit rire son interlocuteur. Quel drôle de type... Qu'est-ce qu'il voulait ? Lorsqu'il lui posa la question, l'inconnu répondit en haussant les épaules, avec tout le naturel du monde, que c'était plus ou moins le cas. Seulement, il préférait le terme de... vagabond, disons. Il offrait ses services à qui il pouvait, travaillant notamment dans les cafés et les bars. Il allait rarement du côté de Londres, cela dit, préférant les campagnes du Nord de l'Angleterre, bien plus agréables. Les petits villages l'angoissaient moins que la capitale. Max ne se retint pas de lui faire remarquer qu'il n'avait absolument pas l'air d'un angoissé, mais au contraire de quelqu'un de... franchement détendu.
"Pas faux, pas faux. Je m'appelle Aaron. Et toi ?
- Maxwell Nashton... pourquoi ça ?
- Roh, on peut même plus être curieux."
Ils avaient continué à parler ainsi, longtemps, très longtemps. Maxwell était méfiant au possible mais... intrigué par cet homme si relax et étrange. Il parlait beaucoup de lui-même, certes, mais ne racontait que des anecdotes amusantes de ses voyages partout en Grande-Bretagne. Autant dire que sa condition physique devait être bien plus développée que celle de Maxwell, qui ne prenait la peine que de prendre le métro pour aller au boulot, situé pas si loin de chez lui qui plus est... et Aaron faisait la Grande-Bretagne à pied. L'un était renfermé et coincé, arrogant et intelligent, l'autre était juste très débrouillard, détendu, se moquait de lui-même le sourire aux lèvres, et abordait de parfaits inconnus, leur parlant de sa vie sans complexes. Et pourtant, il plaisait à Maxwell. Il y avait quelque chose d'intéressant, d'amusant chez ce type. Et comme il n'avait pas de numéro, il lui donna rendez-vous près de cette même cabine téléphonique, quelques jours plus tard. En toute honnêteté, le brun s'attendait à un lapin, mais il retrouva bien Aaron à la date prévue, le jeune homme lui lançant un signe joyeux de la main et un grand "hey !" dès qu'il l'aperçut.
Ils avaient continué ainsi pas mal de temps, se revoyant, discutant de tout et de rien. Max apprenait à Aaron des trucs scientifiques rigolos – ils avaient même fait sauter une petite bombe une fois – et son ami lui apprenait la débrouille, quitte à contourner la loi de temps en temps. A voler sans se faire prendre, à construire des machines certes moins précises que ce que savait faire Maxwell, mais brillantes d'inventivité. A se défendre en cas d'attaque, car leurs sorties étaient loin d'être sans danger, de même que la vie d'Aaron en général.
"Tu apprends à un employé de la police à voler ?
- Pourquoi pas ? Ca peut toujours servir."
Bordel, qu'est-ce qu'il s'amusait avec ce type. Lui l'appréciait, lui reconnaissait ses qualités, lui ne l'ignorait pas quand ça allait mal. Il allait se bourrer la gueule avec lui, trinquant à leurs ennuis respectifs. Parfois il prenait son fidèle Yorkshire entre ses mains, plaçant son nez sur le museau de Max, comme un grand gamin. Parce qu'il savait que Max allait rire face à sa puérilité et gémir en disant qu'il préférait les chats. Ils se connaissaient bien, vraiment très bien. Comme des amis. C'était une des rares personnes qu'il considérait comme telles.
Sa vie au travail s'améliorait un peu, de ce fait. Il avait la sensation qu'on était plus aimable avec lui et, même si c'était entièrement faux, il supportait en tout cas mieux sa situation. Certes, c'était devenu un emmerdeur de première, plaçant des énigmes stupides dans les bureaux de ses collègues et crachant quelques remarques sarcastiques à qui voulait bien l'entendre (ou pas d'ailleurs), mais globalement, ça s'annonçait bien. Un jour, près de un an après qu'il ait rencontré Aaron en fait, soit à ses vingt-six ans, on lui proposa même d'étudier un cas particulièrement troublant. Des meurtres – ou plutôt, de vraies boucheries – avaient lieu dans les quartiers mal famés de Londres. La police tentait de garder la situation secrète tant qu'ils n'avaient pas plus d'infos sur le sujet. En gros, les victimes étaient complètement éventrées et à moitié bouffées par... on ne savait pas trop quoi. Cette histoire faisait froid dans le dos. La logique voulait que ce soit un véritable monstre qui ait fait ça... un mec complètement cinglé, un nouveau Jack l'Eventreur ou quelque chose comme ça ? Un cannibale complètement cinglé ? A moins qu'il n'ait que volé les organes de ses victimes mais... c'était pas moins effrayant. Même Max, qui n'avait que peu d'empathie et ne craignait pas grand chose... well, disons que ça lui soulevait le coeur.
Il préféra ne pas évoquer cette affaire auprès d'Aaron. Ce mec était tellement étrange, il ne savait pas quelle serait sa réaction, même si ils se connaissaient bien. Normalement il ne s'inquièterait pas, serein comme il était, mais... lorsqu'il était sérieux, il était sérieusement effrayant. Il aurait pu se mettre en tête de choper le criminel lui-même ou quelque chose du genre... bref, mauvaise idée en perspective. D'autant qu'il avait retrouvé des... traces appartenant vraisemblablement à un canidé dedans. Et vu l'amour que portait Aaron à ces bestioles, il risquait de piquer une crise si on prétendait qu'un chien géant – ce que toutes les preuves portaient à penser – avait assassiné une série de SDF à moitié morts de froid dans les rues de Londres avant de bouffer la moitié de leurs cadavres. C'est alors qu'il réfléchissait sur le sujet, se baladant dans les quartiers concernés après une dure journée de boulot, que tout commença.
Une fine bruine tombait sur la ville ce jour-là, comme souvent en hiver. Il faisait un temps glacial et la respiration de Maxwell formait une légère brume devant sa bouche. Le brun avait glissé une main dans une poche de son grand manteau, tenant de l'autre un parapluie noir. Il s'en souvient parfaitement, encore à l'heure actuelle... de sa première rencontre avec la bestiole. C'était un énorme chien noir, aux allures fantomatiques. Titanesque, une paire d'yeux jaunes à l'expression à la fois humaine et vide. Cette vision d'horreur terrifia Maxwell, sur le coup ; et dès que la bête fit un pas, il se mit à courir pour sa vie. Il n'avait rien d'un trouillard, mais il avait encore un puissant instinct de survie, à l'époque. Il ne voulait pas mourir. Il ne devait pas mourir ! Sans jamais se retourner, il poussa sur ses jambes de toutes ses forces, entendant les grognements du chien derrière lui, sa course, sentant presque, dans sa paranoïa, son haleine chargée de l'odeur cuivrée du sang. Dès qu'il avait aperçu un véhicule prêt à démarrer, il avait ouvert la porte à la volée, s'installant comme passager.
"Qu'est-ce que vous fou—
- Le chien nous poursuit, dépêchez-vous, on doit se barrer !"
La conductrice, à l'origine occupée à se maquiller, s'était retournée et, en voyant la silhouette du molosse, avait démarré à fond. La bête, malgré sa vitesse, ne les rattraperait pas. Cette vision d'horreur ne quitta cependant pas Maxwell, dans les jours qui suivirent. Dans son appartement londonien, une tasse à la main, penché sur la table en bois de sa cuisine, il avait passé des jours et des jours à chercher des informations sur cette créature. Un loup sauvage ? Non, ça n'expliquait pas cet aspect fantomatique et cette taille colossale. En plus, c'était pas si noir, les loups, si ? Non, impossible. Et ce n'était pas une hallucination de sa part. Il était sain d'esprit, putain ! Et la conductrice l'avait vu aussi.
"Je vous assure que je ne suis pas fou. C'est un monstre qui a causé ce carnage. Ces traces n'appartiennent à aucune race de chien connue. Il est beaucoup trop gros !
- Nashton, si vous êtes incapable de trouver une cause plausible à ces agissements—
- Je sais que ce n'est pas plausible, mais c'est la vérité !"
Ils n'allaient plus pouvoir masquer ces meurtres inexpliqués bien longtemps et ils savaient très bien que la cause devait aller au-delà du naturel ou du commun pour les cacher au grand public. Les rumeurs courraient déjà sur le sujet. Même si c'était très mineur, il était impossible de ne pas attiser la curiosité d'un trop grand nombre. Ils devaient le croire... Mais ils ne le crurent pas. Les salauds. De toute manière... il n'avait jamais aimé ces abrutis du bureau d'enquête. Toujours à le voir comme si il pensait détenir la Vérité – ce qui, pour le coup, était vrai. Alors monsieur s'est arrangé pour se mettre à son compte et devenir détective. C'était dur de subsister au départ, il dût se serrer la ceinture, mais c'était le seul moyen d'enquêter en liberté sur ce chien gigantesque. Sans être bridé par ces imbéciles de la police.
Deux mois s'écoulèrent ainsi. Deux longs, très longs mois, parsemés de craintes enfantines et de cauchemars envahissants. Maxwell dormait peu, mal, commençait à boire. Pourquoi ? Parce qu'il le suivait. Le chien fantôme le suivait comme son ombre. Il filait dans un parc presque désert, passait devant sa fenêtre, apparaissait au coin de rues, prêt à fondre sur lui. Simples visions, hallucinations, ou réalité ? Il ne savait pas vraiment. Chaque fois, il le fuyait. Puis il commença à perdre patience et à tenter de le fixer droit dans les yeux, mais cette fois, c'était le chien qui s'évaporait. Quand, à moitié rendu fou par ce monstre, il finit par tenter de le poursuivre, impossible de le rattraper, il finissait toujours par être semé ou... par perdre courage. Sa vie était complètement dominée par ces visions, et il ne savait même pas si elles étaient réelles...
Alors il décida de lui en parler. A Aaron. De décharger son désespoir en parlant de ses problèmes à la seule personne qui ne le prendrait pas pour un fou. Ils s'étaient revus dans un coin bien caché d'un parc, près d'une petite rivière, lieu choisi spécialement par Max. Ils ne s'étaient jamais rendus là, mais bon ! Un peu de nouveauté ne faisait pas de mal, pas vrai ? Et il tenait à ce que personne ne les voie. Aaron, toujours ponctuel, était déjà là lorsque Max arriva. Il avait un air étrangement grave sur le visage.
"Alors ? De quoi tu veux me parler ?"
Et ainsi, le brun lui évoqua toute l'histoire, résumant brièvement la raison de sa brutale reconversion, ses recherches, ses visions, le chien.
"Heureusement que tu étais là, Aaron..."
Soudain, il saisit son ami par le col, prit un couteau de cuisine quelconque qu'il avait enduit de poison, et tenta de frapper Aaron avec. Au bras. Il aurait pu viser le coeur, mais il devait vérifier quelque chose avant... même si l'expression d'Aaron, choquée mais également glaciale et étrangement mature, le renseignait assez bien sur la question.
"Qu'est-ce que..." fit-il sans conviction.
Le détective ne répondit que par un ricanement maniaque en voyant son ami se transformer, par instinct, en énorme chien noir. Oh, il le savait. Ce regard, cette manière d'agir. Cette façon qu'il avait d'apparaitre pour lui, et rien que pour lui. Il avait eu un mauvais pressentiment quant à Aaron, avait cherché une cohérence dans ses voyages... il n'y en avait pas. Tout simplement parce que certains semblaient remonter avant sa naissance. Il n'avait rien de mortel, n'est-ce pas ? Encore moins d'humain. Ce connard était une brute effrayante qui avait assassiné et bouffé des humains. Mais pire encore, il lui avait fait subir un jeu du chat et de la souris infernal, avait fait de Maxwell une loque cruelle et sans pitié prête à tout pour le traquer. Il l'avait rendu à moitié fou et il le savait très bien. Cependant... Le chien, malgré sa douleur lancinante, semblait rester de glace. Il n'avait jamais vu une si royale indifférence dans un regard.
"Enflure !"
Mais à cet instant, le chien se jeta sur lui, le mordant à l'épaule, puis partout où sa gueule pouvait accéder. Le brun, hurlant sous l'effet de la douleur et de la colère, se débattait comme il le pouvait, agitant son couteau dans l'espoir de toucher le Barghest. Ce qu'il réussit finalement à faire ; la bestiole fantômatique fut touchée et, gémissant sous les effets du poison, s'en alla en courant, traînant la patte, laissant un Maxwell à moitié mort allongé dans son propre sang.
"Attends ! cria le détective d'un ton presque désespéré. Reviens ! Reviens... connard !"
Mais il valait mieux se taire et économiser ses forces. De toute manière, le jeune homme était au bord de l'inconscience. Alors il allait mourir comme ça ? C'était... pitoyable... Il espérait juste que ce type crève de manière bien horrible. De toute manière, il avait ruiné sa vie, hein ? Max avait tout perdu, son job, une partie de sa raison et de son empathie, sa réputation, son existence, son seul ami... sa vie n'avait plus beaucoup de valeur.
Oh et puis... non. Il devait essayer de se relever. Toujours... si Aaron mourrait, il resterait d'autres monstres, n'est-ce pas ? Et il devait les arrêter. Se relevant péniblement, Max se remémora brusquement que Mabel vivait près d'ici. Si il parvenait à atteindre son appartement... oui, si elle était là, ce serait parfait.
Il lui fallut faire des efforts inhumains pour arriver jusqu'au pas de sa porte, et même pour sonner, sa main tremblant de manière incontrôlable. Faites qu'elle soit là, faites qu'elle soit là... Et Mabel était là. Un air absolument horrifié sur le visage lorsqu'elle vit son frère ensanglanté et à moitié mort.
"Mon Dieu, Maxie... Qu'est-ce qui t'est arrivé ?
- Laisse... c'est rien..."
Tellement rien qu'il s'effondra dans ses bras à cet instant, complètement inconscient. Il ne se réveilla que quelques jours plus tard, à l'hôpital ; si il n'était plus dans un état critique, force est de constater qu'il était bien minable quand même. Ses anciens collègues étaient même venus lui rendre visite et lui avaient offert des fleurs, quelle charmante attention.
"J'suis allergique.
- Tu as vu le criminel, alors ? A quoi ressemblait-il ? demanda l'inspecteur qui tenait le bouquet, ignorant royalement sa plainte.
- Mouais, me disais bien que c'était intéressé... Eh bien, mon avis ne changera pas.
- Tu ne vas pas me faire dire que c'est un chien géant qui t'a attaqué, Nashton.
- Si."
Il avait même croisé les bras de manière bien puérile, gonflant les joues. Ce à quoi l'inspecteur répondit par un soupir agacé. Sérieusement, ce type... il n'avait jamais vu qui que ce soit de plus insupportable et borné. Et ça n'avait fait qu'empirer depuis qu'il avait quitté la police, apparemment. Mabel était là également, bien sûr, et leur avait poliment enjoint de foutre la paix à son frère.
Celui-ci avait mis un long moment à se remettre, mais autant dire qu'il ne cessait pas ses recherches pour autant. Si son désir premier était de casser la gueule à Aaron, bien que celui-ci soit probablement mort, il devint complètement obsédé par les monstres. C'est alors qu'il commença sa traque. Bien entendu, au départ, il ne put les rencontrer en personne ; ces saloperies se cachaient rudement bien et surtout, si il comptait subsister, il devrait s'attaquer à des criminels humains bien chiants et des affaires pas du tout intéressantes ni à la hauteur de son génie pour y parvenir. Il dût même, bien longtemps, compter sur l'aide de sa soeur ; officiellement, c'était uniquement pour qu'elle veille sur lui pendant sa convalescence, mais elle avait bien deviné que les raisons étaient en réalité purement financières... même si ses cauchemars et autres hallucinations étranges l'inquiétaient beaucoup, et qu'elle faisait de son mieux pour rester à ses côtés. Bien qu'appréciant l'attention, Max n'y répondit que très peu, complètement absorbé par ses recherches, qu'il tenait secrètes. Il n'avait pas envie d'embarquer Mabel là-dedans, pour le moment. Non seulement elle le mettrait à l'asile, mais en plus elle risquait d'être la proie d'un sort aussi insupportable que le sien, une famille composée entièrement de cinglés, ça rendait quand même mal sur les portraits de famille. Bref, ce fut seul qu'il se constitua une véritable base de données sur le sujet ; il apprit à mentir pour sauver sa fierté et sa peau, à voler pour mieux vivre, à apprendre les petits secrets des gens pour les manipuler, voire à leur servir des mots doux dans les cas extrêmes.
Puis vint la vidéo. Inutile de vous expliquer, si ? Ce fut le premier à la voir mais Mabel avait insisté pour la regarder aussi. Si elle avait trouvé le canular très bien fait, lui était convaincu de l'existence de cette bestiole à... Détroit donc. Wow, pas la destination la plus classe qui soit, en somme. Mais ça ne le dérangeait pas plus que ça. Ca allait bien à son nouveau lui névrosé, haineux et glacial – car son comportement n'avait fait que se dégrader depuis l'accident. Ce fut donc après avoir rassemblé assez d'économies qu'il partit pour Détroit, s'installant dans un petit appartement. Comme toujours, il travaillerait à son compte pour des enquêtes diverses ; la seule différence étant que de temps à autres, il s'infiltrait dans les rangs de la police. Ce qui ne lui plut pas énormément, mais lui permit de mieux connaitre ces chères forces de l'ordre et donc de leur rafler des informations et quelques faveurs mal acquises, notamment en les menaçant. Oh, il s'est bien fait emprisonner une fois ou deux, mais le taux de criminalité de la ville étant assez colossal, on évitait généralement de l'embêter. Il fit notamment la rencontre de Logan, sa victime préférée, qu'il harcèle presque quotidiennement ; et de nombreux monstres, aussi, mais autant dire que ça se passe souvent mal avec eux. Il a failli crever des dizaines de fois mais ça ne lui fait plus froid dans le dos, désormais. Il n'a plus rien à perdre, n'est-ce pas ?
Et vous êtes ?
Pseudo En général, on m'appelle "Ney". Ce sera plus simple que Maxwell, je présume~
Age Who knoooows~
Comment vous êtes vous retrouvé sur DM ? Une amie m'a envoyé le lien, et comme j'avais un perso s'intégrant très bien au contexte, très sympa au demeurant… me voilà~
Personnage sur l'avatar : L de Death Note
Un mot de la fin, une suggestion ? Ne me mangez pas Plus sérieusement, j'espère que le personnage vous plaira, que je n'ai fait aucune erreur dans le contexte et que, well… je me plairai ici ? owo