Voilà, c'était la fin.
Et bon sang ce que c'était contrariant. Mais c'était trop tard maintenant, il n'y avait plus rien à faire pour lutter. Voilà ce qui arrivait à force de se croire immortel et invincible, de se voir passer les âges sans prendre une ride et de voir que les époques avançant, la survie était plus facile. Forcément avec des conditions de vie pareilles on se laissait vivre, on se reposait sur ses lauriers en faisant de moins en moins attention et on devenait même complètement inconscient. Ce phénomène s'observait chez ces petits cons d'humains qui mettaient leurs vies en danger sur des motos, en sautant en parachute ou en prenant de la drogue… Et en faisant tant d'autres choses dangereuses encore. Et si en ce moment on peut se permettre de les traiter de petits cons en les jugeant totalement, c'est parce qu'en comparaison, l'inconscient du jour avait au moins l'avantage de pouvoir se réincarner, lui. Enfin l'avantage c'était vite dit, c'était évidemment quand on était entrain de mourir par mégarde qu'on se rappelait de l'inconvénient de cette réincarnation… Et voilà c'était reparti pour un tour, alors qu'il commençait à bien s'amuser, à bouffer de la puissance par paquet de dix, d'ici quelques heures il était bon pour disparaître de la vie de tout le monde pour renaître X temps plus tard dans un endroit aléatoire pour tout recommencer et rester encore un moment coincé dans un corps de môme.

Faute de pouvoir bouger, Sambre ruminait à plein régime et se réprimandait violemment dans son petit crâne de serpent. Il n'avait aucune idée de la température qu'il pouvait faire dehors, la seule chose qu'il savait c'est qu'il était à l'extérieur, qu'il faisait assez froid pour qu'il neige, et qu'il était dans cette dite neige sous la forme d'un beau boa couleur émeraude.
Le serpent était tout bêtement entrain de mourir de froid.
Il n'aurait su donner la durée exacte qui séparer ce moment de celui où il s'était transformé, à bout de force et probablement complètement shooté par une trop forte dose d'adrénaline, d'endorphine, de tout mélanger avec tout ce qu'une foule pouvait ressentir pour peu qu'il se soit amusé à jouer aux Sims avec son propre pouvoir. En tout cas ça devait faire un moment… Ses vêtements étaient loin derrière, il supposait du moins, car il avait l'impression de ramper dans la neige depuis une éternité vers le lieu où il savait qu'il dégoterait son potentiel sauveur.

C'était son esprit qui luttait pour ne pas entrer dans une sorte d'hibernation, alors que son corps était affreusement douloureux comme si quelqu'un l'avait passé au compacteur : c'est que… ce n'était pas vraiment sa taille habituelle… L'effet était absolument désagréable, comme si on avait serré avec des visses chacun de ses os pour réduire leur taille. Et le froid mordait ses écailles, engourdissait son corps qui ne bougeait déjà plus beaucoup.
Les vibrations dans le sol, le crissement des pas dans le manteau blanc… Quand on le ramassa, il semblait amorphe, endormit voir presque mort.


Le serpent ne recommença à bouger qu'une fois seul dans le lavabo, quand ses écailles captèrent enfin suffisamment la chaleur de la lampe pour réveiller tout son système nerveux. Il ne pouvait pas soupirer d'aise mais l'idée était là dans un sifflement de contentement alors qu'il analysait les lieux dans un demi sommeil difficile à quitter. Pour l'instant, rien de bien efficace au niveau de la récolte d'information mais ses anneaux ondulaient déjà bien mieux dans la vasque chauffée par la lampe. C'était comme un petit sauna fort agréable, l'humidité en moins.
Puis l'odeur de la nourriture lui parvint enfin, le poussant à bouger. Il n'étoufferait pas la bonne âme qui s'était permis de lui proposer de la viande crue. Délicate attention, il l'avala toute ronde.

Et comme il n'allait pas rester éternellement dans ce qui semblait être une salle de bain, le corps lourd du boa se laissa glisser lentement du meuble pour atteindre le sol. La douleur était moindre mais toujours présente et il ne la supportait que grâce à son état encore légèrement comateux. Elle fut pire encore quand il eu l'impression qu'on étirait tout ses os pour lui rendre son apparence humaine. Cette torture, c'était une part de sa malédiction.
Après un râle de souffrance, nu comme un vers, et plongé dans le noir, Sambre conserva son attention reptilienne, attentif aux vibrations, aux sons, tout en cherchant la poignée de la porte. Il venait d'entendre tousser, il y avait donc quelqu'un… Des vêtements ? Pfff c'était surfait.

Sortant de la salle de bain, et assumant parfaitement son corps, on allait pas se mentir – de toute façon il allait falloir trouver le propriétaire des lieux pour qu'il lui prête quelque chose - , Sambre entame sa recherche d'une âme vivant dans l'appartement qu'il fut ravi de reconnaître. Même mourant, son sens de l'orientation n'était pas mauvais et d'un pas moins léger qu'il ne l'aurait voulu à cause de la douleur lui vrillant encore tout les os et les muscles, il jeta un œil dehors avant de se glisser dans la tanière de l'ours sans pudeur.

- Dis donc t'as une petite mine.

Appuyé contre l'encadrement de la porte, avec l'air presque détendu alors qu'il douillait particulièrement, ses yeux encore jaunes de sa transformation fixait Tohrment avec un calme olympien alors que bon… Quelques minutes avant c'était un serpent dans un lavabo… Donc ça n'avait rien de normal d'avoir un humain à poil dans sa chambre.
Enfin, si Sambre avait été connu pour ménager le coeur des malades, ça se serait su. Hors là, il avait besoin de fringues, de chaleur et puis Tohr tiendrait le choc… Sauf si la grippe le tuait avant cela dit… Ce genre de chose n'avait jamais eu l'air de trop… l'étonner ?

- T'aurais pu me prendre avec toi, la chaleur humaine ça marche bien ! Surtout quand t'as décidé de te transformer en radiateur…

Oui, pour la discrétion et les remerciements, les explications aussi ? Et ben on repassera apparemment… De toute façon l'humain n'était pas en état de les entendre…

Si Sambre ne ménageait pas les malades, et personne en général de toute façon, il laissa quand même le temps à son hôte de réaliser ce qui était entrain de se passer : à savoir le fait de l'avoir lui, complètement nu dans son appartement après avoir ramassé un reptile presque mort devant le pas de sa porte. Il n'aurait su dire si c'était la fièvre qui lui donnait cet adorable petit air perdu derrière ses sourcils épais ou s'il croyait véritablement avoir une vision divine. En attendant, le serpent contempla, de ses yeux encore mordorés, la loque humaine qui malgré son état grippal avancé restait diablement séduisant vu de dos. De face aussi hein, fallait pas se mentir, il l'avait d'ailleurs déjà constaté mais la vue qu'il avait sur le verso du garagiste en ce moment même lui confirmait qu'il ne s'était jamais trompé. De toute façon la créature savait qu'il avait toujours extrêmement bon goût.
Voyant l'ours commencer à bouger finalement, le gigolo se redressa un peu et malgré sa mine particulièrement fatiguée aussi, son sourire s'élargit pour le regarder se lever. Oui c'était possiblement aussi un peu de voyeurisme mais c'était donnant donnant alors personne n'aurait de problème là dessus. Et puis à quoi bon détourner les yeux de toute façon, aucun d'eux n'était crédible dans le rôle de la prude.

- Je suis pas une brute Tohrment. Je sais me tenir… Et puis ça aurait été bête d'abîmer le clou du spectacle...

Il ricane en battant des cils d'un air totalement faux pour ce qui était de vouloir représenter l'innocence. Le tout en le laissant s'approcher de lui. Bon sang, l'humain irradiait de chaleur, et sa peau était brûlante de fièvre quand il posa sa main sur l'épaule encore douloureuse du reptile. Attention Tohr, il était hors de question que tu clamses dans les bras du chaos originel, le but c'était que tu le réchauffes pas que tu te refroidisses. Aller, c'était une petite fièvre… plus personne ne mourrait de la grippe… Bon peut être encore si mais pas un taureau comme Tohr. Ok ?

- J't'en prie fais donc, je vais profiter des draps que tu as si aimablement changé. De toute façon tu sais y a pas grand-chose à dire, il fait meilleur chez toi. Mais je suis déçu de te trouver aussi affaiblit !

Et sur ces mots Sambre se laisse tomber sur le lit qu'il n'avait absolument pas aidé à faire alors que son sauveur avait pris la peine de virer les draps fiévreux. Se laissant bercé par le bruit agréable de l'eau de la douche, le tout relatif jeune homme s'était étalé comme un prince et comme chez lui sur le lit confortable à la manière d'un mannequin lascif et langoureux. Ou presque. Il avait les yeux fermés et le drap remonté sur lui à mi parcours en attendant que le malade revienne à lui un peu plus en forme. C'est maintenant qu'il commençait à réfléchir. Qu'est ce qu'il allait bien pouvoir lui raconter…
Évidemment le côté « oups c'était pas moi en fait, je suis rentré par la porte et le serpent est sorti tout seul » ça ne passerait jamais. Tohr était loin d'être con et même s'il ne s'était pas admiré dans un miroir ou dans une vitre récemment, Sambre se connaissait assez pour savoir que ses yeux n'étaient pas redevenus normaux dans la seconde. Il n'était pas inquiet plus que ça, après tout s'il avait choisit d'échouer devant le garage ce n'était pas pour rien, c'était même carrément calculé : pas trop de monde aujourd'hui, un humain qui ne réagissait pas trop mal aux choses étranges et qui n'était pas du genre prise de tête… Du coup qui ne risquait pas de l'amener à être disséquer quelque part, pas comme s'il avait atterrit chez le scientifique fou… M'enfin pour choisir le labo plutôt que le garage il aurait fallu être complètement con.
Ah la vision réconfortante revenait de sa chasse aux médicaments. Enfin.

- Très amusant. Pourquoi j'ai choisis ces bons vieux États-Unis d'Amérique d'après toi ? Hm ?

Il se fend d'un sourire, le menton appuyé dans le creux de sa main alors que son regard a toujours cette couleur reptilienne dont il n'arrive visiblement pas à se débarrasser. Tant pis, ça picotait un peu mais ça n'était pas dérangeant et… son garagiste avait l'air de supporter le rendu visuel.
Se rallongeant sur les oreilles comme un prince dans son lit royal, il tend la main vers l'être humain pour effleurer son bras. Sa peau est encore chaude et c'est tout ce que ses écailles réclament… D'ailleurs le bout de ses doigts est plus rugueux un instant comme si sa peau hésitait entre l'homme et l'animal.

- Puisque tu es tout à moi… Tu veux pas venir un peu plus proche et me servir de radiateur ? Autant que ta fièvre soit utile à quelqu'un avant que tes médicaments ne t'en débarrassent. Et puis ça sera agréable pour tout le monde.

Hors de question de se priver de l'occasion. Même s'il n'était plus entrain de perdre la vie, ce n'était pas une raison pour ne pas profiter du moment pas vrai ? Et puis l'ours aussi avait besoin d'un peu de réconfort… Tout seul dans cet appartement sans personne pour s'occuper de lui malade.
Tapotant le lit à côté de lui, Sambre l'amadoua d'un sourire. Il n'y avait aucune raison de résister à une proposition si douce pour les deux parties n'est ce pas ? Après tout il lui avait refusé la douche seulement pour une raison matérielle, dans un lit ça ne demandait pas autant d’acrobaties…
Haha, non il n'irait pas jusque là.

- Il m'est rien arrivé de spécial, j'ai eu très froid c'est tout.

Et puis c'était bien trop compliqué d'expliquer qu'il avait perdu le contrôle de sa tête comme un drogué qui plane après une bonne dose au point que le froid avait eu le temps de lui geler le corps sans qu'il ne s'en aperçoive. Et s'il fallait expliquer le pouvoir… Alors ça non c'était tricher, et puis c'était trop long… Il n'allait pas non plus lui dire qu'il était plus âgé que l'origine du monde. C'était vraiment pas des choses à raconter à un grippé.
Quelques petites mèches retombent lentement pour frôler le front que Sambre qu'il avait dégagé quelques instants avant d'un geste de main qu'il avait l'habitude de faire et refaire relativement souvent tout au long d'une journée. Il souffle alors avec un certain ronron dans la voix.

- T'en fais pas… Je suis juste resté trop longtemps dehors. Et toi quelle idée d'être... malade.

Sssh les humains… Toujours prêts à donner de leurs personnes quand il s'agissait de répondre à leurs propres désirs. Oh ce n'était pas les seuls d'ailleurs, au contraire, les monstres étaient particulièrement proches d'eux à ce niveau là, probablement plus que certains n'auraient voulu l'admettre en voulant les éradiquer… C'était bien pour ça que Sambre ne faisait allégeance ni à un camp ni à un autre mais au lieu d'être neutre il avait choisit de trahir tout le monde. De toute façon sa nature était un cercle vicieux, un serpent qui se mordait la queue… Il était la Tentation Originelle, son existence n'était plus à prouver car en chaque être il y avait une dualité entre l'envie et la raison, depuis des millénaires le monde y cédait et c'était malheureusement comme ça qu'était fait la nature humaine, animale, monstrueuse… Quelques êtres essayaient bien de s'en débarrasser mais c'était loin d'être honnête, et réellement efficace… Il n'y avait qu'à voir les scandales aux seins de ce qu'ils appelaient « les religions ». Alors loin d'avoir l'envie et la capacité de l’éradiquer, ce même monde continuait de la nourrir inlassablement lui assurant prospérité et éternité, puissance et résurrection.
Du coup, il aurait été bien malvenu de dénigrer ces humains si sensibles à leurs envies profondes.

Oui, à la différence de ses congénères, Sambre n'avait pas d'avis, qu'il soit négatif ou positif, sur ces créatures qu'étaient les humains. Il en avait simplement vu tellement, un nombre qui n'était pas pensable à l'échelle humaine, qu'il était difficile pour ces êtres de faire la différence après en avoir croisé tant pendant des siècles et des siècles. Il savourait leur capacité d'adaptation et leur propension à sombrer toujours plus bas pour se satisfaire égoïstement.
Bon évidemment il lui arrivait d'en apprécier quelques uns malgré que leur durée de vie soit à sa propre échelle, l'équivalent d'une heure ou deux peut être.
Tohrment faisait partie de ceux là.
Garagiste efficace pour sa voiture à laquelle il vouait plus d'attachement qu'à certaines personnes de son entourage, ours bourru particulièrement plaisant à taquiner et à séduire, un type de bonne compagnie ouvert d'esprit et qui avait l'air de ne pas vouloir se prendre la tête. Une perle rare que Sambre ne voulait pas trop abîmer. Il lui faisait d'ailleurs confiance pour garder leur entrevue reptilienne pour lui et s'il s'était traîné, mourant, jusqu'à son porche, c'était bien parce qu'il avait placé de grands espoirs en lui quant à sa tolérance aux choses bizarres.

Pour l'instant il ne s'était pas trompé puisque le fait de l'avoir vu serpent quelques heures avant n'avait absolument pas l'air de couper l'envie à notre cher garagiste aussi fiévreux de grippe que de désir. Et ce serait mentir de dire que Sambre n'était là que pour avoir une simple peluche dans les bras. Si le serpent avait vu passer un nombre incroyable d'humains autour de lui dans sa longue vie, ça ne l'empêcher pas d'apprécier lorsqu'ils étaient bien fait ou habiles pour se faire désirer. Il ne l'avait pas taquiné pour rien lors de ses visites au garage. Ce qui était entrain de se passer aujourd'hui était une récompense pour la patience du serpent.
Ce dernier ne se souciait d'ailleurs de rien d'autre que de l'instant présent : l'heure ? Qu'elle aille au diable… Et les états d'âme de son partenaire ensuite ? Franchement quelle importance. Ce qui comptait c'était de passer un excellent moment et que le corps de l'humain ne cesse pas de battre, bien que sur ça Sambre avait toute confiance en la solidité de Tohrment.
Quand ils s'arrêtent enfin, même le Serpent du Jardin d'Eden est à bout de souffle, les yeux brillants d'extase et lascif sur les draps souillés et froissés. Sa température corporelle était nettement remontée et son sourire fendait son visage avec un air de félin satisfait. Ses yeux, redevenus dans le feu de l'action, d'une belle couleur semblable à celle du métal liquide, coulèrent un regard sur l'ours qui se redressait dans le lit, sans que le serpent ne se soucie de cacher son corps marqué par leurs ébats.
Un soupire d'aise et de contrariété lui échappa cependant, à la question de Tohr.

- Ah Tohr… Laisse moi un peu de répit. Je dois te rappeler à quel point t'as assuré pour me faire grimper aux rideaux pour que tu me laisses un peu de repos ?

Sa voix était éraillée de son côté aussi, d'avoir crié, râlé, gronder de plaisir. Presque en étoile sur le lit, il avait fermé les yeux et remuait doucement ses membres pour en reprendre le contrôle. Ses muscles tiraient encore de sa transformation, et plus encore avec l'effort fournis. Il avait envie d'hiberner pendant un certain temps avec cette sensation d'être tout chaud et comblé.

- Et puis franchement, c'est pas un cadeau que tu me fais, l'interrogatoire alors que je suis encore train de planer…

Vilain.
Pfff c'était appréciable un amant qui tenait la route jusqu'à être capable de parler après le dernier round hein, Sambre ne disait pas le contraire… Mais malade comme il avait trouvé Tohr, franchement il avait espéré qu'il s'endorme pour filer en douce avant d'avoir droit à des questions.

- Qu'est ce que tu veux que je t'explique de toute façon… Un serpent ça supporte mal le froid et je suis resté dehors trop longtemps cette nuit. Tu te rappelles encore de ce que c'est ? Faire la fête entre jeunes.

Taquin, mais la voix rauque et douce, il lui effleure le dos du bout des doigts avec un sourire. Aller Tohr, ça n'intéresse personne de comprendre ces choses là.