En attendant au feu rouge, tu souffles pour former des petits nuages sous tes yeux. Quand tu étais petite, ce phénomène t’impressionnait toujours. Tu étais épatée par l’air chaud qui, d’abord invisible lorsqu’il était dans un élément qui lui ressemblait, devenait soudainement visible lorsqu’on le glissait dans un environnement qui s’opposait à lui. Au fond, ça ressemblait à ce qui se passait Détroit en ce moment. Les Monstres, placés au centre d’une foule qui ne leur ressemblait pas, se faisaient pointer du doigt et devenaient finalement visible au regard des humains. Tu te demandais s’il avait un jour existé un temps où ces êtres extraordinaires avaient trouvé un environnement où ils avaient leur place et où il pouvaient passer inaperçu.

Le feu passe au vert et tu te remets en route. Tu jettes un coup d’oeil à ton cellulaire. Celui-ci n’indique aucune nouvelle notification. Tu regardes l’heure encore une fois depuis que tu es partie de ton appartement. Ça devrait aller. Tu sera là assez rapidement. Tu expires et glisse à nouveau ta main dans ta poche avant d’avoir trop froid.

Quand il t’avait appelé, tu avais immédiatement dit oui. Tu n’avais pas hésité. Tu n’avais pas réfléchi. Tu avais simplement accepté sa proposition. Ça ne faisait pas si longtemps que ça que vous vous connaissiez, considérant le nombre d’années que vous aviez derrière vous, mais c’était assez pour que tu le considères, au minimum, comme un ami proche. Tu aimais passer du temps avec lui. Tu aimais lui parler de ta passion. Tu ne savais pas exactement s’il aimait ça aussi, mais tu avais toujours eu l’impression qu’il y trouvait un intérêt. Alors, quand il t’avait proposé un rendez-vous dans un bar du centre-ville , tu n’avais pas vraiment attendu avant de lui répondre.

Tu poses ta main sur la porte du bar et prend une inspiration avant d’entrer. Tu ne saurais vraiment l’expliquer, mais tu te sens un peu fébrile.  Une fois à l’intérieur, tu le trouves rapidement et te dirige vers lui.

“William! Tu vas bien?”

Tu retires ton manteau et t’assois face à lui en lui souriant. Le serveur, qui semble espérer un gros pourboire, te salue déjà et tu lui demandes une consommation pour toi aussi.

“Je suis heureuse que tu m’aies invitée tu sais? J’avais envie de te voir”

Ah… Tu devrais apprendre à réfléchir avant de parler et à ne pas dire tout ce qui te passe par la tête. Cette phrase pourrait être interprétée de toutes sortes de façons. Tu sens le rouge te monter aux joues et espère que ça passera inaperçu.

Tu te détends un peu lorsqu’il te répond. Lui aussi avait envie de te voir. Évidemment. Ce moment qui aurait pu devenir embarrassant c’était en fait plutôt bien passé.  Il continue la discussion. Une simple question de routine. Une politesse sans aucun doute, mais ça te plaît quand même qu’il te la pose.

“Oh tu sais, c’est toujours pareil. Les clients ne sont pas toujours agréables, mais on s’y fait. Eh puis, il y en a des plus sympas aussi“

Un peu comme lui. Ça avait du bon aussi de travailler dans un bar parfois. Tu y faisais de belles rencontres, des gens que tu n’oublierais pas de sitôt. Quand on travaille dans un endroit comme celui-ci, on parle souvent des évènements un peu pathétiques au détriment des belles histoires. L’alcool a cette faculté de délier les langues et de briser la gêne ce qui, selon toi, peut avoir une certaine beauté. Après tout, l’être humain est souvent plus bon qu’il n’est malin, du moins c’est ce que tu crois.

“Et toi? Le boulot? Tu ne t’es pas encore fait bouffer par un des jeunes? Ça m’étonne…”

Tu t’appuies sur l’une de tes mains. Tu souris un peu moqueuse, un peu plus et tu lui tirais la langue, mais, quand même, il faut se restreindre un peu. Déjà, et sans même t’en rendre compte, la nervosité que tu ressentais en ouvrant la porte de cet endroit commence à se faire moins présente, plus discrète.

Tu lui souris en entendant sa réponse. Tu ne sais pas si tu serais vraiment mieux placée pour les repérer. Après tout, jusqu’à présent tu n’as encore rencontré aucun monstre. Tu gardes confiance néanmoins, tu les as tant étudié. Tu as passé tant de temps à te renseigner sur eux, c’est impossible que tu n’en croises jamais non? Un jour, tu le sais, tu tomberas sur l’un d’eux et, si la chance te souris, il ou elle  te fera confiance. Enfin…. tu peux continuer à rêver, tu ne penses pas que ça t’arrivera ce soir.

Instinctivement, ton regard parcourt la salle, mais personne ne capte vraiment ton attention.Peut-être, pourtant que l’un d’eux n’est pas un simple humain. Depuis l’apparition du site, certaine personne on commencé à prétendre que les monstre ont trouvé des moyens de se cacher parmi nous. Tu ne sais pas vraiment ce que tu imaginais. Qu’ils se cachaient tous dans des grottes, des forêts sombres et sous des étendues d’eau lugubres… C’est un peu cliché. Peut-être que tu t’imaginais simplement qu’il y en avait bien moins que ce que le site prétend.

Ton visage s’illumine lorsqu’il parle du forum. Tu songe un instant au fait que tu pourrais vérifier s’il y a quelque chose de neuf, mais tu te retiens. Tu es ici pour passer un bon moment en bonne compagnie. Il ne faudrait pas non plus virer accro. Tu auras le temps plus tard d’y jeter un coup d’oeil.

“ Oui, j’ai vu! C’est excitant tu trouves pas? L’Halloween ça leur donne peut-être l’occasion de passer incognito”

Cette idée que les monstres (ou certains du moins) pourraient se révéler sous leur vrai jour une fois dans l’année sans crainte te plait bien en fait. Le serveur t’amène ton verre et tu le remercie discrètement. Tu prends une première gorgée et t’appuie sur tes coudes.

“ Tu crois qu’un jour toi et moi on va rencontrer un monstre? J’aimerais bien en voir un vrai, pas seulement… lire des rumeurs”