« C'est qui le bébé à son papa ? On a faim ? On veut de la chair fraîche, voui !
— Monsieur--
—Eh Alfred, tu permets ? Je m'occupe de Léviathan là, je m'occuperai de toi après.
—C'est Godrick, monsieur.
—Tss, tu connais pas Batman toi hein. »
Le jeune adulte était avachi sur le sol, près du cercle d'eau situé dans le salon. Nez à nez avec un petit alligator, seule une vitre à l'épaisseur douteuse séparait leur deux faces. Et mal grès les tentatives du reptile pour laisser ses crocs vaquaient sur la peau de l'énergumène qui lui faisait face, ce dernier ne semblait que redoubler d'amour pour lui à chaque seconde. Le brun finit par se redresser, lentement, ses doigts délaissant la surface glacée du verre pour se réfugier dans un contact semblable, ces derniers tenant allègrement un verre d'alcool. Yahwëh se laissa glisser dans son fauteuil de velours en sirotant le liquide amer qui lui réchauffait tendrement la gorge. Son regard vide se perdait dans la pièce, inspectant chaque parcelle de blanc. Un blanc immaculé, un blanc qu'il entretenait avec un amour passionné. Godrick se tenait à proximité, droit comme une pique à laquelle l'on aurait suspendue une tête décapitée. Déstabilisé par le cliquetis constant et angoissant de l'horloge du salon, il ravalait sa salive maladroitement, mettant à dure épreuve la jolie pomme d'Adam qui habillait sa gorge. Le silence de son nouvel employeur lui pesait, il appréhendait chacune de ses mimiques, infligeant à ses doigts la marque d'un malaise permanent. Il était nouveau. Le patron l'avait recruté, après avoir massacré le gang dont il faisait autrefois parti bien sûr.
« Dieu, éternel insatisfait. Ne pas plaire à Dieu, c'est choisir le crocodile, s'enquit le perroquet aux yeux rieurs du haut de son perchoir d'argent.
—Certes, approuva Yahwëh qui eut un regard pour Godrick. Fais en sorte de me plaire mon cher Alfred, ou bien je ne serai plus ton Batman et te laisserai aux crocs du délicieux Joker.
—O-Oui monsieur !
—Écoute Sarte, il est de bon conseil, après tout, il répète toutes mes sages paroles. Bon, et cette affaire ?
—La boîte que vous vous êtes approprié récemment…
—La boîte que j'ai pris son mon aile, fit-il en claquant sa langue.
—Pardon, oui… Le gérant… Le chiffre d'affaire baisse continuellement, l'on a donc envoyé quelques hommes afin de surveiller la fréquentation de la boîte et elle est toujours aussi peuplée qu'avant.
—Huh, on essaie de m'entourlouper ? Rappelle les hommes, je vais me présenter au patron, après tout, il ne m'a pas encore rencontré. Et puis, je dois me trouver une araignée qui saura y tisser sa toile afin de l'étendre jusqu'à moi pour me fournir des informations sur l'évolution de la boîte, les activités du gérant, le type de clientèle etc. On y va. Au revoir, Sarte, Léviathan. »
†
Une voiture noire rampait dans les ruelles lugubres, se frayant un chemin vers les bas quartiers aux immeubles sinistres. Yahwëh, sagement étendu sur les fauteuils arrières, se plaignait de temps à autre des bâtiments qu'il jugeait trop hauts, ces derniers selon-lui, lui accaparaient la vue et le dérangeaient. Il chargea Godrick d'en faire raser une bonne partie, pour son bon vouloir uniquement. La nouvelle recrue s'étonnait à chacune de ses répliques. Il lui paraissait d'un intelligence insolite. Surdoué loufoque sans aucun doute. S'il était connu pour sa cruauté inventive et inouïe, le jeune homme était néanmoins très apprécié par ses hommes, pour ceux qu'il n'avait pas supprimait en tout cas. La luxueuse monture se garant en face de la boîte, elle fut mise à l'épreuve des klaxons épuisants de la file qui lui succédait.
« Monsieur, ne devrais-je pas garer la voiture plutôt que de la laisser… au beau milieu de la route ?
—Ils la contourneront » fit simplement le jeune patron avec un air détaché.
Sa silhouette élancée s'éloigna du véhicule alors que ses escarpins noirs claquaient sur le sol, rappelant le son agressant d'un fouet. Son pantalon noir taille haute à patte d'éléphant masquait allègrement sa musculature alors que sa veste en fausse fourrure cachait bien des choses dans sa doublure, de quoi calmer la frénésie du vent qui n'avait plus la force de la soulever. Ses cheveux bruns quant à eux s'alliaient aux forces de la nature, ici le vent, et s'unissaient au rythme chanté dans une danse macabre. A lui seul, il déchaînait une étrange symphonie aux accord inédits. Au seuil de la bâtisse à l'architecture peu enviable, il se munit d'un mouchoir s'en aida pour ouvrir la porte. L'établissement, dans sa sombre atmosphère, lui usa les yeux avec ses étranges lumières, se voulant sensuelles mais ne suscitant en lui que davantage de haine pour la vulgarité des lieux.
« Je ne comprendrai jamais les politiciens corrompus et autres âmes en perdition. Comment peut-on ressentir une quelconque excitation dans un lieu pareil ? Copuler pour copuler, quelle triste histoire. Qu'en penses-tu Alfred ? N'aimes-tu pas les fantaisies plus subtiles ?
—C'est que… Je préfère les femmes du monde monsieur.
—Tu es un homme de goût Alfred, c'est très bien. Et que penses-tu des hommes ? N'as-tu jamais essayé avec l'un d'eux ?
—… Non, jamais monsieur et je dois reconnaître que la chose ne me tente pas.
—Hum… Quand nous rentrerons, je t'offrirai des femmes. Des femmes que personne ne pourrait se payer (trop chères), des femmes du monde, des vraies, de grandes libertines manipulatrices et éprises de luxe. »
Il évoqua bien d'autres sujets qui perdirent son employé, ce dernier ne pouvant répondre qu'à l'aide de monosyllabes.