Ecoute, cette douce voix au-dehors… C’est ta vraie nature qui t’ordonne de te réveiller !
Tes yeux s’ouvrent subitement, et ton souffle se fait court. Tu t'agrippes fermement au drap sur lequel tu es couché, et tu tentes de te calmer. Ta vue est encore légèrement troublée, et tu te sens trembler, si fort que tu en as même la nausée.
Un flot de pensées s'engouffrent alors en toi, comme un raz-de-marée, si fort que sur lui il emporte tout sur son passage. Une multitude d’images s’imposent à toi en flash, et tu retraces peu à peu l’itinéraire qui t'a conduit sur ton lit de mort.
T'en-sortiras-tu vivant … ?
Cette simple idée qui te traverse l’esprit suffit à te redresser, et à régurgiter tout ce que tu as pu manger aujourd'hui. Aujourd'hui… ou hier ? Qui sait depuis combien de temps tu es ici ?
Tu trembles terriblement, et ta tête s’est transformée en un théâtre où se joue une symphonie assassine, anarchique, dissonante, et qui te crève les tympans tellement son niveau sonore est élevé.
En tentant de regarder autour de toi, tu aperçois vaguement les formes d’une pièce carrée, où au centre se trouve un lit – où tu es, donc –, et dont les murs sont d’une blancheur immaculée : une chambre d’hôpital aurait été un nom approprié, si tu n’avais pas remarqué, sur la table à côté du lit, une série d’outils plus macabres les uns que les autres. Couteau, scalpels, autres pinces et matériel stérilisés ensanglantés ont raison de toi, et tu te penches à nouveau au-dessus du lit pour rendre ce qu'il reste dans ton appareil digestif.
C’est alors que tu remarques que le lit sur lequel tu étais couché n’était pas un lit à proprement parlé mais…
Une table d’opération…
Est-ce sur toi que l’on a testé tous ces horribles outils ? Tu n'oses pas l'imaginer... Tu jettes alors un coup d’œil à ton torse, qui à ta plus grand horreur, est enveloppé de toute part par de larges bandages, dont tu ne veux pas te rappeler l’origine. Tu te tâtes doucement à un endroit rougeâtre – certainement une entaille –, qui a attiré ton attention, et même si ta main tremble légèrement, la toucher ne t'apporte étrangement aucune souffrance, ce qui te laisse béat.
Tu deviens plus insistant, mais aucune douleur ne vient te barrer la gorge. Et quand tu défaits les bandages qui te recouvre, il ne te reste qu'une cicatrice superficielle, le genre qui ne reste que quelques jours et puis disparaît.
Tu t'aperçois tout juste que tes yeux sont exorbités, comme rendus fous par cette ambiance glauque et si terrifiante, alors que sur tes joues perlent des dizaines de petites larmes salées.
Rien n’a été pris, rien n’a été rendu… Tout était déjà en toi…
Un hoquet de surprise te tire brusquement de ta rêverie, tandis qu’un éclair te traverse le dos, faisant jaillir un cri démesuré, strident. Ton corps se tord, tu replies tes jambes sur toi-même, tu te prends fermement la tête, tandis que ton corps est secoué de spasmes, ton souffle saccadé, entre tes râles de douleurs.
Tu pleures, tu cries, tu te convulses, tu craches, tu te roules sur cette table, tu tires le drap et le déchire, tant ta folie te perturbe. Tu tombes à terre, et en tentant de te relever, tu trébuches. Y-a-t-il une porte, ici ? Tu n'en vois nulle part… Il n’y a personne… Personne !
Et personne ne viendra…
De douloureuses traînées électriques dansent dans ton dos, et tu as presque l’impression qu’il y pousse des appendices de ton corps, longs, et bizarrement, indépendants.
Alors que tu tentes de te relever, l’un d’eux frappe lourdement le sol, le fissurant de toute part. Surpris, tu te retournes, et tu découvres avec horreur quatre tentacules ondulantes, tantôt doucement, tantôt violemment, à l’image de ton esprit perturbé, certainement.
Une nature endormie en toi depuis longtemps…
Nouveau cri : cette fois-ci, le mal vient de tes omoplates, dont tu sens la peau comme déchirée par des cristaux qui la percent. Quelques secondes plus tard, tu les vois au-dessus de toi, battantes comme si elles désiraient s'envoler : comme si des ailes t’étaient poussées…
Sais-tu qui tu es ?
Une douleur lancinante apparaît au niveau de ton coxys ; tu t’essaies à regarder derrière toi, espérant y trouver le vide. Au lieu de cela, tu trouves une queue, acérée et écailleuse.
Tu halètes, je n’ai plus la force de crier, et je rampe au sol, voulant échapper à ce macabre spectacle dont tu es malgré toi le protagoniste.
Et c’est au tour de ta colonne vertébrale de bouger…
… C’est la dernière fois ! Le monstre est né ! Le monstre parfait est né !
Deux rubans métalliques s’enroulent autour de tes bras, et te coupe en divers endroits. Je pleures et tu hurles : à vrai dire, tu ne sais même plus trop ce que tu fais.
Tu vois à nouveau du sang autour de toi : mais cette fois-ci tu es sûr que c’est du tien qu’il s’agit. Suivie ta longue traîne vivante, je rampe jusqu'à une source lumineuse que tu aperçois près de toi. Ta vue est mauvaise et ta conscience menace de te quitter…
C’est ta naissance…
Tu saisis le miroir qui est à présent à portée de main.
Ton éclosion…
Tu approches ton faciès pour te contempler.
Un rire nerveux s’échappe de ta gorge…
Ouvre-toi à ta vraie nature !
Tu croises de grands yeux à la sclère noire, ornés de petites billes rouges, qui remplacent à présent tes iris, autrefois d'un brun banal. Tu vois ta bouche tordue en un rictus étrange, déformée par la géhenne.
Mais tout est fini à présent…
Une nouvelle réalité te tend les bras, réveillée par ta faiblesse.
Tu n’as jamais été toi jusqu'à présent.
Oui, maintenant tu es...
Tu es...
... une
goule.