Le temps que Valentin arrive à la boutique, il s’était mis à pleuvoir. D’immenses trombes d’eau tombaient du ciel, trempant aussi bien les quelques passants que le béton sous leur pieds, se déversant comme une multitude de petits torrents dans les bouches d’égoûts. Ce n’était pas rare qu’il pleuve autant à cette époque de l’année, mais c’était toujours aussi surprenant.
En soi, Valentin n’avait pas grand chose contre la pluie. En vérité, il l’aimait beaucoup. Il préférait largement les intempéries, les caprices de la météo aux ciels bleus et dégagés. Sa peau avait toujours mal supporté le soleil, qui au contact de ses rayons pouvait prendre une couleur violine un peu étrange. Ses yeux clairs en pâtissaient également.
Enfin, ça, c’était lorsqu’il était à pied. En voiture, était une autre histoire - une grande histoire de haine. Et puis, il trouvait toujours le moyen de se plaindre que ses cheveux bouclaient encore plus lorsqu’ils étaient un peu humides. Ça lui donnait un petit air de mouton.
C’est pour cette exacte raison qu’il s’était mis à courir vers la porte, sa veste retirée de ses bras et braquée au dessus de sa tête. Ses cheveux étaient déjà informes, ce n’était pas la peine d’en rajouter une couche.
S’il avait pris le temps d’observer la vitrine avant d’entrer, il aurait pu voir à quel point elle était chargée. Peuplée de diverses figurines de lutins, de fées, d’elfes et décorée de guirlande de fausses feuilles et de divers bibelot, le niveau de kitch aurait fait s’esclaffer l’ondin par pure moquerie. S’il y avait bien un genre de déco qui ne lui plaisait pas, c’était celui-là. Et il était persuadé de ne pas être le seul, c’est peut-être pour cela que la devanture de la boutique était ainsi ornée. Pour faire fuir.
A vrai dire, c’est sa mère qui lui avait recommandé l’endroit. A l’intérieur, il y avait plus de livres qu’autre chose - il s’agissait en réalité d’une librairie. Ce qui la différenciait des autres boutiques du genre était la nature des ouvrages qu’ils proposaient.
De l’herboristerie à la divination, de la numérologie à la voyance et divers autres domaines ésotériques, les livres croulaient sur les rayons étroits. Pour arriver à ces derniers, il fallait descendre quelques marches et se pencher un peu pour éviter une poutre apparente - ce que Valentin ne faillit pas faire.
Val était un homme de science, du moins il aspirait à l’être. Mais il ne pouvait pas renier ni sa nature. Les calculs et la logique étaient une chose. Être en capacité de faire fusionner ses jambes et de les couvrir d’écailles en était une autre. De fait, il y avait également deux-trois choses qui l’intéressaient et qui le rendaient quelque peu curieux. Comme par exemple - au hasard - l’astrologie. Juste parce qu’il y avait des étoiles. Non, ça n’allait pas plus loin que ça. Ça n’avait pas forcément besoin non plus - on aime ce qu’on aime, n’est-ce pas ?
Certaines mythologies lui faisaient également de l’oeil.
En tout cas, ce qui était plutôt clair, c’était que la boutique était bien plus réservée à une clientèle « monstrueuse » qu’humaine. D’ailleurs, c’était vraiment à se demander comment l’endroit n’était pas complètement inondé par le déluge qui s’écoulait dehors.
La librairie était très petite et très poussiéreuse. Vraiment, elle ne payait pas de mine. Selon Valentin, citons, ça « craignait un maximum, » même. C’était parfait.
Trouver ce qu’il cherchait fut difficile, presque rien n’était indiqué ou trié - à un tel point qu’il s’en sentit presque insulté. Val ne comptait pas ouvrir de boutique, mais si un jour il le faisait, il prendrait cette organisation (non-existante) en contre-exemple. Trouver le coin de rayon qui parlait un tant soit peu d’espace fut une véritable expédition. Quelle ne fut pas sa joie quand ses doigts touchèrent enfin un ouvrage spécialisé dans les constellations et leurs interprétations dans la mythologie grecque. A ses côtés, un autre était entièrement dédié à Sirius. Il était dans la bonne partie du magasin.
Il n’y avait pas vraiment fait attention, d’ailleurs, mais le-dit magasin n’était pas très fréquenté. Il commençait à se faire tard, certes, et la pluie y était certainement pour quelque chose. A la louche, sans le personnel et en s’incluant, ils devaient être cinq. Tant mieux. Il n’aurait plus manqué que le bain de foule.
Alors qu’il attrapait un nouveau volume sural perception de la Voie Lactée en Asie, quelque chose attira son regard. Ce n’était pas l’homme qui lui faisait dos et qui regardait l’étagère d’en face (non, lui il le remarqua à peine) mais une reliure rouge. Non, écarlate. Non, sanguine. Marron ? Qu’est-ce que c’était que ça. Un livre qui changeait de couleur ?
Lorsqu’il aperçut le petit autocollant « attention danger » jaune en bas de la tranche, son intérêt fut piqué à vif. Avec un petit sourire, il attrapa le livre et tourna la couverture vers lui. Ce n’était pas comme si un bouquin pouvait être radioactif, n’est-ce pas ?
« Sirènes et autres oiseaux, » indiquait le titre. Soit. Cela n’expliquait nullement le changement de couleur.
C’est à ce moment là que Valentin décida de l’ouvrir.
Au départ, il ne fit pas le lien, mais il fut bien forcé de le faire. Sous ses yeux, le livre ouvert n’avait rien de spécial. Un titre, des lettres, de la ponctuation. Et puis, au bout de quelques secondes, la formation d’une bouche dans la reliure, puis un hurlement.
Ce n’était pas le genre de cri qui vous glaçait le sang. C’était le genre de cri soudain qui vous donnait un énorme coup d’adrénaline, qui vous faisait faire un bond de cinq mètres et qui déclenchait en vous des réflexes dont vous n’aviez jamais soupçonné l’exitence, sauf expérience précédente. Valentin n’avait jamais fait l’expérience d’un livre hurleur auparavant.
Alors il eut un énorme coup d’adrénaline, aurait fait un bond de cinq mètres s’il aurait eu la place, et eut l’intelligent réflexe éjecter le livre loin de lui. Autrement dit : il le lança. Le tout en criant lui-même. (Quelle cacophonie.)
Qu’il eut remarqué ou pas l’homme qui se trouvait derrière lui n’aurait pas changé grand chose, à vrai dire. Il aurait oublié sa présence. Ce fut ainsi de manière tout à fait fortuite qu’il se trouva dans l’exacte trajectoire de l’ouvrage, initiée par Valentin qui n’avait cessé de crier. Il ne s’arrêta que lorsque le volume, après avoir plus ou moins violemment heurté l’autre client du magasin, se referma sur lui-même après être tombé par terre.
Pendant un moment, il regarda le livre, en position défensive, prêt à fuir. Son cœur battait à toute vitesse, ses yeux était écarquillés et sa respiration était rapide. Il avait la peur de sa vie.
« Oh, mon Dieu. » finit-il par dire, comprenant enfin ce qu’il venait de se passer, sans quitter la potentielle bête féroce des yeux. « C’était quoi ça ? »
- Spoiler:
La mise en page sera pour demain